Memphis, -75 av. J.-C.Quelques bougies éclairaient légèrement l’intérieur de la Villa. Nephthys se tenait dans un coin de la pièce principale, bras croisés. C’était une très belle femme, certains s’avançaient même à dire que c’était l’une des plus belles de toute la ville. Néanmoins ce soir-là, les traits de son visage étaient durs, et ses yeux rougis d’un mélange de colère et d’un sentiment d’humiliation.
« Tu dois m’aider Sekhmire. Je ne peux plus vivre ainsi dans la honte.» grogna-t-elle au jeune homme en face d’elle.
Il ne répondit pas. Il était même d’un calme olympien qui agaçait encore plus la jeune femme. Il faut dire qu'il n'était pas non plus le plus futé de tous.
« Cela fait des années que tu me sert. Aide moi et je te ferais riche, tu sais que j’en ai les moyens. »L’homme prit un temps pour réfléchir. Il ne savait pas trop dans quoi il allait s’engager, mais il avait vraiment besoin de cet argent, pour lui, pour sa famille.
« Et que voulez-vous que je fasse exactement ? Prier les dieux pour qu’ils vous accordent un enfant ? » Nephthys fusilla Sekhmire du regard. Si elle avait pu le foudroyer sur place, elle l’aurait fait, mais elle avait encore besoin de lui.
« Ne dis pas de stupidités, tu te retrouveras un jour avec la langue coupée ! » pesta-t-elle.
« Alors que dois-je faire ? »La jeune femme prit une légère inspiration afin de se calmer un peu.
« Cette femme. Cette vulgaire paysanne que mon cher mari semble tant aimer. Je veux que tu te débarrasse d’elle, qu’elle aille rejoindre la Doûat. Et sa chienne de fille aussi. »Sekhmire haussa les sourcils, interloqué.
« C’est tout juste un nourrisson madame … » Il s’arrêta en voyant que son interlocutrice ne se souciait guère de ce genre de détail. Elle continuait de soutenir son regard, les yeux pleins de mépris. A ses yeux ce n’était pas une enfant mais une erreur de la nature. Une erreur qu’il fallait corriger.
Sekhmire baissa la tête et regarda ses pieds un instant.
« Toi et ta famille ne manquerez plus jamais de rien. Je le jure sur les dieux. » Dit-elle sur un ton un peu plus calme.
Le jeune homme soupira, hocha la tête puis tourna les talons pour quitter la villa, un sentiment de culpabilité lui rongeant déjà les entrailles.
Léontopolis (Taremou) , -58 av. J.-C.« Neferure, Ânkhetamunet, il est l’heure ! » Appela le prêtre.
Les deux jeunes filles lâchèrent les bâtons avec lesquels elles se livraient à un petit exercice de combat, et suivirent leur père à l’intérieur du temple. Il n’appréciait guère leur petit passe-temps, mais il aimait trop ses filles, et il savait que rien au monde n’arrêterait leur fougue. Il avait abandonné depuis longtemps l’idée de les réprimander. Après tout, Sekhmet était sûrement fière de compter des combattantes parmi ses adoratrices – si on pouvait appeler ça comme ça.
Malgré leurs chamailleries amicales incessantes, les deux sœurs se montraient extrêmement sérieuses et appliquées lorsqu’il s’agissait des tâches qu’elles devaient effectuer au temple. Leur père leurs avait tout transmit : le respect des dieux, la connaissance des écrits, le savoir-faire des rituels et même quelques connaissance en médecine, musique et autre sciences. Il savait que la meilleure des armes en ce monde était l’esprit, c’est pourquoi il s’était efforcé d’éduquer au maximum ses deux enfants.
Alors qu’ils s’enfonçaient dans le temple, il observait avec fierté les deux jeunes filles qui marchaient dans un silence respectueux. Elles étaient des femmes à présent, ce qui ne le rajeunissait pas. Le hasard avait fait qu’elles étaient très semblables, autant physiquement que dans leur personnalité, et pourtant elles n’étaient pas liées par le sang. Ankhetamunet n’était pas sa fille, du moins pas sa fille biologique. Elle le savait, lui aussi, et pourtant il n’a jamais fait aucune différence avec sa sœur. Pas de petits privilèges, pas de petites bêtises excusée à l’une plus qu’à l’autre, rien. Il les aimait pareillement.
Si les gens avaient pu parler quelques temps, ils sont très vite passés à autre chose et ont accepté Ankhetamunet comme étant la fille du prêtre. A l’époque pourtant, cela avait attisé la curiosité. Certains avaient rapportés avoir vu un jeune cavalier déposer la petite au pied du temple avant de partir au galop, d’autres dirent qu’il s’agissait d’un vagabond ou d’un sorcier, et l’histoire se déforma ainsi jusqu’à donner des versions plus farfelues les unes que les autres. La vérité, le prêtre ne la connaissait pas. Ce dont il était certain c’est que si les dieux avaient décidés de lui prendre la vie de sa femme et de lui apporter celle d’une enfant en retour, c’est qu’il avait un rôle à jouer dans tout cela. C’est ainsi qu’il prit la petite sous son aile et l’éleva comme si elle était sa propre fille.
L’homme sorti de ses pensées lorsqu’ils arrivèrent devant l’autel sur lequel se tenait la statue dorée de la déesse-lionne. Il se tourna alors vers ses filles.
« Bien, a présent, prions. »Léontopolis (Taremou) , -50 av. J.-C.Sekhmire plaquait la paume de sa main contre la bouche de la jeune femme pour étouffer son cri, sans grand succès. Un mélange d’émotions s’affrontait en lui. De la haine avant tout. Il était de retour dans cette ville maudite, dans un temple qu’il pensait ne jamais revoir. C’est dans cet endroit que des années auparavant il avait commis l’erreur de sa vie, celle d’épargner la vie d’un enfant. Il ne faisait que remettre les choses dans l’ordre – du moins il s’efforçait de s’en convaincre - cette vie n’aurait jamais dû être, la voilà qu’elle s’envolait sous sa main.
Puis vint le soulagement, alors que la lumière s’effaçait dans le regard de sa victime, et que ses mains étaient couvertes d’un liquide chaud et rougeâtre. Il savait que sa famille était sauve à présent. Plus jamais il n’aurait à craindre un quelconque châtiment. Nephthys ne s’en prendrait plus aux siens maintenant que sa volonté était faite. Lorsqu’elle avait appris qu’il avait fait preuve de faiblesse des années auparavant, elle était devenue folle de rage et avait fait enlever son fils, jusqu’à ce qu’il accomplisse ce pourquoi il avait été si gracieusement payé. Sekhmire ne s’expliquait pas un tel acharnement, la folie sans doute, mais c’est lui qui en faisait les frais.
Il ôta son coutelas de la poitrine de la jeune femme. Une larme glissa sur sa joue. Aucun pardon ne lui serait jamais accordé pour ses actes, mais il avait fait ce qu’il fallait, pour sa famille.
Alors qu’il s’apprêtait à se redresser et à partir, un violent coup lui fracassa le crâne, le forçant à s’écrouler sous la douleur. Sa vision fut troublée un instant, il tenta de récupérer l’arme qu’il avait lâchée, mais il en fut bien incapable. Il s’étendit alors sur le dos, sachant pertinemment qu’il était à la merci de son assaillant. Il n’avait plus vraiment la volonté de se battre à présent, sa tâche était accomplie. Alors qu’il reprenait ses esprits et que sa vision se fit plus précise, un profond effroi traversa tout son être. Ces boucles brunes, ce regard noir de jais, il les avait déjà vus il y a des années de cela. C’est alors qu’il réalisa son erreur. Elle avait l’expression d’une lionne prête à déchiqueter sa proie, tout comme sa mère lorsqu’il lui avait ôté la vie.
«Neferure ! Pourquoi ?! Qui es-tu fils de Seth ? » Hurlait Ânkh, des sanglots dans la voix.
Il ne savait pas quoi lui répondre. Il se sentait stupide et impuissant Comment avait-il pu se méprendre à ce point ?
« Réponds ! » grogna-telle en appuyant le coutelas qu’elle avait récupéré contre son cou.
Sekhmire comprit qu’il n’avait plus d’échappatoire. Plus aucun avenir ni dans cette vie ni dans la suivante. Il avait offensé la déesse dans sa propre maison, il n’atteindrait jamais les champs de roseaux. Son seul espoir à présent, était que Nephthys, celle qui était à l’origine de cet enfer, l’accompagne dans l’autre monde.
Il décida donc de parler, de raconter exactement tout ce qu’il s’était passé, dans les moindre détails, quitte à expliquer qu’en plus d’avoir tué sa sœur par erreur, il avait aussi tué sa mère. Mais il voulait qu’elle sache qui était réellement derrière tout ça, qui méritait vraiment sa haine.
Lorsqu’il eut terminé, il demanda simplement à ce qu’aucun mal ne soit fait à sa famille en représailles. Ânkhetamunet ne lui promit rien.
« J’espère que ton cœur sera si lourd sur la balance qu'elle se brisera. »
« Il le sera. » Sur ces derniers mots, elle lui trancha la gorge.
Memphis , -49 av. J.-C.Quelques jours à peine après les cérémonies funéraires en l’honneur de Neferure, la rumeur s’était rependue. Un Memphite avait pénétré le grand temple de Sekhmet pour y assassiner l’une de ses prêtresses. La nouvelle avait choqué, d’autant plus qu’il s’agissait d’un étranger, venu d’une autre ville. Comment pouvait-on profaner un lieu sacré ainsi ?
Afin de calmer les tensions, un accord fut rapidement prit entre les temples de Memphis et de Taremou. Memphis enverrait des offrandes au temple de la ville aux lions, et celle-ci enverrait un de ses prêtres afin d’apaiser les dieux au sein de l’ancienne capitale. Ptah et Sekhmet étant amants, le symbole avait son importance.
Ânkhetamunet se désigna d’elle-même pour cette tâche, ce qui surpris beaucoup de personnes, à commencer par son père qui, bien que respectant sa décision, se senti désemparé face au départ de sa deuxième fille. Publiquement, la jeune femme expliqua qu’il s’agissait avant tout d’un acte d’apaisement et de réconciliation entre les peuples, mais elle n’en pensait rien.
Si elle foulait à présent le sol de Memphis, c’était plus par envie de vengeance que par devoir religieux. Elle voulait savoir qui, dans cette ville maudite, se permettait de jouer avec la vie du peuple. Quelles élites se sentaient si puissantes qu’elles pensaient pouvoir faire disparaitre des gens à leur bon vouloir. Il y avait cette Nephthys, certes, mais elle n’était pas seule, Ânkh le savait. Certaines têtes allaient devoir tomber.
Caractère : Ânkhetamunet est une personne assez secrète. Pour les personnes qui ne la connaissent pas intimement, elle est quelqu'un de calme, mesurée, presque détachée. Elle n'est pas très bavarde mais lorsqu'elle s'exprime ses mots sont choisis avec minutie. C'est en réalité plus par méfiance que par courtoisie qu'elle se comporte ainsi.
Elle a un bon fond, elle ne demande qu'a aider son prochain, cependant sa confiance a été quelque peu mise à mal ces derniers temps. Elle sait que ses amis d'aujourd'hui peuvent être ses ennemis de demain, c'est pourquoi elle n'aime pas trop se dévoiler.
Au delà de cette façade, Ânkhetamunet a un tempérament ardent. Lorsqu'elle a quelque chose en tête, il est très difficile de lui faire lâcher prise. Elle est incroyablement têtue et rancunière, et n'hésitera pas à en venir aux mains également si la situation l'exige. Ankh n'a rien d'une princesse, même si elle dégage naturellement une sorte de délicatesse et d'élégance.
Travailleuse, elle ne se reconnaît pas dans cette élite qui passe son temps à exploiter autrui pour s'offrir du vin et des divertissements. D'ailleurs elle méprise une bonne partie d'entre eux, même certains de ses confrères. Elle est bien consciente de faire partie des privilégiés de ce monde, mais préfère se servir de cet avantage contre les tyrans et non contre la population.